Ceux qui condamnent Benjamin Griveaux exposent aussi nos enfants au lynchage
“Il n’a aucune excuse”, “il n’a que ce qu’il mérite”, tels ont été les propos tenus par des éditorialistes le jour même de la révélation des faits ayant conduit Benjamin Griveaux à mettre un terme à sa candidature à la mairie de Paris. Que ce soit le viol de l’intimité qui soit répréhensible, et cela seul, ne semble pas évident aux yeux de chacun. Même en compatissant vaguement sur son sort, voire en reconnaissant qu’il a été injustement victime d’actes malintentionnés, une bonne partie du public, y compris parmi ses pairs, ne peut s’empêcher de le condamner peu ou prou… De la même manière que sont condamnés, dans les cours d’école, ces adolescents –le plus souvent des adolescentes– qui ont le malheur de voir diffusées sur les réseaux sociaux une photo ou une vidéo intime, qu’ils ont innocemment partagée au sein d’une relation de confiance. A minima, on critiquera la maladresse de la victime, son imprudence, sa sottise… au pire, on la jugera coupable d’immoralité. Comme pour Benjamin Griveaux. Mais s’il peut sans doute faire face à la violence de ces jugements –espérons-le pour lui– qu’en est-il de jeunes gens, de jeunes filles, qui sont à l’âge où l’on doute tant de son image, de sa valeur, de sa légitimité? Comment supporter cette triple blessure, de voir son corps nu exposé à une foule de regards irrespectueux, de se sentir trahi par celui à qui l’on avait fait confiance, et de recevoir pour seule réponse à ces ignominies des critiques plus ou moins violentes provenant de toutes parts? Comment continuer à vivre un quotidien d’adolescent ordinaire après un tel traumatisme? Peut-on s’étonner que le suicide soit si souvent la seule porte de sortie?
Le cas de Griveaux est un cas d’école. Tous les ingrédients du sexting secondaire[1], celui-là même qui fait de plus en plus de ravages dans les établissements scolaires, y sont réunis: le partage en privé d’images intimes à caractère sexuel, qui n’a en soi rien de répréhensible; puis la trahison de la personne à qui l’on avait accordé sa confiance, qui diffuse les images destinées à rester secrètes, la honte associée au dévoilement de son intimité, et enfin la condamnation de la foule malveillante et idiote, qui prétend se placer du côté de la morale alors qu’elle n’est qu’hypocrisie. C’est une véritable tragédie qui guette chacun de nos élèves –car tous peuvent être exposés à ces risques, ne nous leurrons pas, même les plus prudents. Rien aujourd’hui ne garantit qu’on ne soit pris en photo, enregistré, filmé à son insu…
Que tous ceux qui jettent la pierre à Benjamin Griveaux songent que leurs enfants courent exactement le même risque que lui. Ne comprennent-ils pas qu’ils créent le piège le plus dangereux, celui qui donne le pouvoir de lynchage aux réseaux sociaux? Ne mesurent-ils pas la responsabilité qui est la leur, en condamnant, voire en critiquant même légèrement, une victime rendue aussi vulnérable?
On eût aimé que Benjamin Griveaux ne démissionnât pas et qu’il se contentât d’un superbe “et alors?”, comme on rêverait que toute victime de semblable malveillance puisse le faire. On eût souhaité que la classe politique entière se montrât solidaire derrière lui, au-delà des clivages idéologiques, pour affirmer que la justice ne sera jamais abandonnée au pouvoir malsain de cette nouvelle Hydre de Lerne que sont les réseaux sociaux. Reste un espoir: que les condamnations les plus sévères atteignent ceux qui ont provoqué ce scandale par la diffusion ou le partage de ces images intimes. Afin que tout un chacun réfléchisse à deux fois avant de cliquer sur son écran, et soit terrifié par la menace des sanctions qui pèse sur de tels actes. Que ces condamnations en fassent un cas d’école, sur ce plan aussi, et un avertissement aux yeux de tous. Sans quoi, qu’est-ce qui protégera demain nos tendres adolescents du piège ignoble du sexting et des drames terrifiants qu’il leur réserve?
[1] On appelle sexting primaire l’échange de photos ou de vidéos dans le cadre d’une relation intime. On parle de sexting secondaire lorsque ce qui était intime est soudain mis en public du fait de la trahison de l’un des protagonistes.
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