Chahut contemporain et classes virtuelles
La période du confinement a permis de mettre au jour ce que vivent au quotidien les élèves et leurs professeurs derrière les murs de l’école. La multiplication des classes virtuelles a révélé au grand public la réalité du monde scolaire d’aujourd’hui : des cours incessamment interrompus par des rires, des remarques incongrues ou des sonneries de portable, des professeurs débordés, tentant vaille que vaille de poursuivre leur cours, s’efforçant stoïquement de conserver les derniers restes d’un esprit de sérieux nécessaire aux études.
Ainsi que l’avait pressenti, il y a plus de 30 ans, le philosophe Gilles Lipovetsky (L’ère du vide, 1983), le rire est aujourd’hui devenu une nouvelle religion dont les grands prêtres imposent leur irréfutable autorité lors de quotidiennes grand-messes télévisuelles. Chacun est sommé de rire, y compris ceux dont on se moque ; personne n’est autorisé à élever la moindre critique sous peine d’être immédiatement frappé du suprême anathème, n’avoir pas d’humour.
Imposée par une minorité et inspirée des réseaux sociaux ou des talkshows, cette tyrannie de la dérision s’est depuis longtemps installée dans les classes des collèges et des lycées sans que ses principales victimes – enseignants ou élèves – n’aient osé avouer aux familles l’ampleur de la servitude subie. Les situations d’enseignement ont été progressivement transformées en terrain de jeux par quelques perturbateurs sans que personne n’ait osé faire connaître à l’opinion l’importance des dégâts commis en termes d’apprentissage.
Pendant qu’un chahut contemporain s’imposait dans les collèges et les lycées – une récente enquête internationale (Talis 2018) a en effet montré que les professeurs français étaient ceux qui avaient le plus de peine à maintenir l’ordre dans leurs classes – l’inspection pérorait sur la « gestion des classes », certains chefs d’établissement rendaient les enseignants responsables de ne pas savoir tenir leurs élèves, quant à la recherche universitaire, elle regardait ailleurs ; sait-on, en effet, que la dernière enquête de terrain sur le chahut en France (Georges Felouzis, 1991) remonte à près de 30 ans ?
Le désordre dans les classes n’est pas un problème individuel, lié à la personnalité d’un professeur, ou à celle d’un ou plusieurs élèves particulièrement difficiles. Il n’est pas réservé à quelques établissements ou à quelques classes. Cette vision des choses conduit à une impasse, nourrit les préjugés, divise les équipes, culpabilise les victimes et dédouane le groupe des professionnels de leur responsabilité commune. Il s’agit d’un phénomène systémique, le résultat d’un ensemble d’interactions au sein de la classe et de l’établissement. Lutter contre le chahut dans sa version contemporaine doit donc nécessairement être conçu comme une stratégie d’équipe.
Il est à souhaiter que la situation déplorable existant aujourd’hui dans un grand nombre de classes, et que la période du confinement a soudain rendue visible, soit enfin regardée en face par l’ensemble de la société. L’école n’est pas un havre de paix où maîtres et élèves progressent ensemble sur le chemin de la connaissance. Elle est un lieu de tension permanente où les professeurs passent chaque jour plus de temps à créer les conditions qui leur permettront d’enseigner. Souhaitons qu’enfin justice soit rendue à ces professionnels et qu’ils soient désormais réellement soutenus par leur hiérarchie et aidés par les pouvoirs publics dans une mission devenue de plus en plus difficile.
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