Proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire : une déclaration commune de 7 acteurs de la lutte contre le harcèlement scolaire
UN PROJET QUI PASSE À CÔTÉ DE L’ESSENTIEL
Nous ne sommes pas par principe contre l’adoption d’une loi visant à combattre le harcèlement scolaire, mais le projet présenté à l’Assemblée nous paraît relever d’une profonde méconnaissance d’un phénomène dont on sait à quel point il est prégnant et dangereux dans les établissements scolaires. En passant complètement à côté de l’essentiel, il ne permettra pas de protéger plus efficacement les futures victimes. Le projet de loi vise essentiellement à renforcer les peines concernant les élèves auteurs de brimades. Il ne contraint aucunement les établissements à prendre en charge les situations de façon appropriée et efficace.
Quelques exemples récents où le harcèlement scolaire a débouché sur des drames laissent, en effet, entrevoir de graves erreurs dans le traitement des situations par certains établissements : confrontations organisées entre élèves victimes et intimidateurs, ou encore manque de protection des victimes alors que des sanctions ont été annoncées concernant les harceleurs, autant de fautes qui placent les victimes en grand danger. Sans parler du cas des professeurs qui participent à l’intimidation de certains élèves, les livrant, fragilisés et isolés, au groupe que constitue la classe. Mais bien d’autres erreurs dans le traitement des situations de harcèlement sont monnaie courante et génèrent des drames, souvent moins visibles que ceux qui sont révélés par les médias.
Le phénomène du harcèlement scolaire est encore mal compris par bien des professionnels qui le traitent comme un conflit entre individus, alors qu’il est un effet de groupe, avec tout ce que cela suppose de dépersonnalisation des protagonistes. Aucune loi pénalisant les élèves harceleurs n’aura le moindre effet sur l’existence de ces effets de groupe, qui sont présents du début à la fin de la scolarité, dans tous les établissements, quelle que soit la sociologie des établissements. Les harceleurs ne sont pas des enfants « mal élevés » qui ont besoin d’être rééduqués, ce sont des jeunes gens piégés par un phénomène de groupe puissant, auquel les adultes ne sont pas toujours étrangers, et souvent renforcé par la logique des réseaux sociaux. Il faut les arracher à cette influence néfaste au lieu d’attendre qu’ils se rendent coupables de méfaits graves les conduisant à des sanctions pénales qui ne répareront en rien le tort commis envers la victime.
Le projet de loi se montre-t-il plus audacieux concernant le cyberharcèlement ? Contraint-il les plateformes à bloquer les comptes de tous les auteurs de flaming ? Leur impose-t-il la levée de l’anonymat lorsque des phénomènes d’attaques en meute sont constatés ? Renforce-t-il la protection juridique des victimes de sexting ou de Revenge porn ? Un article du projet se borne laconiquement « à inscrire la lutte contre le harcèlement scolaire parmi les objectifs assignés aux plateformes et fournisseurs d’accès. Il consacre l’obligation de modération des contenus de harcèlement scolaire sur les réseaux sociaux ».
Il nous est donc permis de nous interroger. Entre 2013 et 2018, rien moins que quatre lois permettant de sanctionner les auteurs ont été promulguées. La priorité est-elle d’en élaborer une autre dans le domaine de la répression ? Ce projet vise à faire peur et non à éduquer. Pourquoi s’employer à la rédaction d’une loi dont on sait par avance qu’elle n’empêchera aucune situation de se développer, qu’elle n’apportera aux victimes aucune protection supplémentaire, qu’elle figera les positions des protagonistes et bloquera le processus de résolution des situations ? Y avait-il vraiment urgence à légiférer au moment où le ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports lance, en cette rentrée 2021, un dispositif ambitieux, le programme pHARe (programme de lutte contre le harcèlement à l’école), qui prévoit la création, dans chaque école et chaque collège, d’une équipe de cinq personnes spécifiquement formées aussi bien pour intervenir auprès des intimidateurs que pour apporter tout le secours nécessaire à ceux qui en sont les cibles ? Ce programme, s’il parvient à son terme, dotera tous les établissements scolaires des compétences permettant de briser les dangereux effets de groupe, tout en apportant un soutien indéfectible aux cibles des brimades.
Une loi permettant réellement de protéger les victimes devrait, à notre sens, être porteuse des principes suivants :
- Que plus aucune victime de harcèlement scolaire ne soit abandonnée à sa solitude, et en particulier que les victimes et leurs familles soient véritablement soutenues et accompagnées sur le long terme,
- Que toute situation, même supposée de harcèlement, soit immédiatement stoppée par les personnels de l’établissement,
- Que les plateformes soient contraintes à faire cesser toute attaque en meute,
- Que les victimes de cyberharcèlement, et particulièrement de sexting et de Revenge porn, bénéficient d’une protection juridique renforcée.
Ce sont là des objectifs autrement plus ambitieux qui considèrent le harcèlement comme un fléau scolaire mais aussi social, et qui se donnent les moyens de le comprendre pour mieux l’endiguer, avec une mobilisation accrue et concertée de tous les acteurs concernés.
Jean-Pierre Bellon, Professeur de philosophie, Directeur du Centre ReSIS
Nicole Catheline, Pédopsychiatre
Sylvie Condette, Enseignante-chercheure en sciences de l’éducation et de la formation
Nora Fraisse, Déléguée Générale de l’Association Marion La Main Tendue
Bertrand Gardette, Conseiller principal d’éducation, vice-président de l’APHEE
Noémya Grohan, Auteure, ancienne victime de harcèlement
Marie Quartier, Psychothérapeute, directrice de la formation du Centre ReSIS
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